Numéro 29 / Sommaire

 

Pour une Médecine Humaniste

 

 

 

 

 

"Pour ne pas se laisser aller à oublier l'intérêt du malade, pour ne pas dépasser ce qui lui est permis, il faut que la Chirurgie conserve le souci de l' Humain, le chirurgien demeurant le serviteur compréhensif et respectueux de l' Homme malade.

Tout chirurgien doit avoir le sentiment profond du respect dû par chacun de nous à la personne humaine. Présence de l' Homme dans la Chirurgie pourrait-on dire. J'ai cherché un mot pour désigner ce que je voulais exprimer ainsi...Celui d'humanisme s'est imposé à moi : humanisme: élan de l' homme vers l'homme, souci de l'individuel, recherche de chacun dans sa vérité. Je sais bien que dans la tradition de l' école, le mot d'humanisme a une toute autre signification et ne devrait s'entendre que d'une attitude voulue de l'intelligence.Mais de nos jours mêmes, au terme d'une longue méditation, la conception humaniste s'est affirmée plus large que jamais. Elle prend désormais pour objet l'homme tout entier, l'homme individu, dans les oeuvres de son esprit, dans les mouvements de son intelligence et de son coeur, dans ses inquiétudes ses espoirs, ses désespérances, dans son aspiration Faustienne à la vie.C'est donc bien un courant de pensée que l'on peut faire passer au travers de la chirurgie. En fait, cet humanisme, c'est celui que tout médecin sent s'éveiller en lui au contact de la souffrance et de la misère des hommes.

C'est lui qui permet au chirurgien d'être proche du malade tourmenté, proche sans effort, sans mot appris dès que sa maladie fait affleurer ce tréfonds de vie secrète où la psychanalyse a trouvé matière à tant d'explorations révélatrices.

C'est lui seul qui peut maintenir la chirurgie dans sa ligne droite, car il est la seule éthique qui puisse fixer, pour chacun de nous, la limite des Droits et l'étendue des Devoirs. Malheureusement, nos facultés de Médecine ne s'en inquiètent guère. Elles n'enseignent pas cette science de l'homme total...

Sans doute à l'hôpital, chaque jour, des maîtres de haute conscience prêchent l'Humanisme par leur exemple. Mais le cadre de leurs leçons vécues est parfois tellement inhumain que l'idée se dilue.

Dans nos hôpitaux, tout choque l' Humanisme : la promiscuité des corps, la violation des intimités secrètes, l'impudeur des voisinages, le contact permanent avec la souffrance, l'indifférence devant la mort. Aussi peut-on aborder la Chirurgie sans avoir compris la valeur humaine, sans être moralement préparé à ce qu'elle impose. Et c'est là d'où vient le danger.

Sans doute, les médecins sont généralement imprégnés de cette culture classique qui aide tant à comprendre l'homme, mais à l'age où il est mis en contact avec la pensée antique, le futur médecin est trop jeune pour en saisir la signification réelle.

Et c'est plus tard, de lui-même, que, sensible à la misère des hommes, le médecin trouve au lit du malade le sens véritable de sa profession.

Certes la plupart des médecins sont des humanistes, mais peut-être serait il bon qu'on ne laisse pas attendre à chacun d'eux les messages de l' Expérience.

C'est pourquoi il y a lieu de dire les Devoirs que la pensée humaniste impose aux chirurgiens, pour que la Chirurgie soit vraiment à la mesure de l' Homme."

René LERICHE

La philosophie de la Chirurgie(1951) Flammarion

René LERICHE (1881-1955) Fondateur de la chirurgie physiologique, fût l'un des plus grands praticiens de son temps. Il ne s'est pas contenté d'appliquer seulement à perfectionner la qualité scientifique et technique de son art. N'oubliant jamais que l'homme est un être de sentiment autant qu'oeuvre de chair, il a voulu conserver à la Médecine et à la Chirurgie un caractère profondément humain

" Les hôpitaux sont en quelque sorte la mesure de la civilisation d'un peuple" écrivait le Chirugien TENON dans son mémoire sur les hôpitaux de PARIS (1760)

Deux siècles et demi plus tard, les mots n'ont rien perdu de leur intensité. A l'heure où l' économique tient la réflexion en l'état, il n'est pas désuet de confronter les valeurs hospitalières, l'une des créations originales des villes médiévales de l' Occident chrétien. Ainsi dans notre société, en quête de nouvelles références, l' hôpital a le Devoir de se montrer digne de ses valeurs humaines, universelles et éternelles. Au - delà des simples considérations sociaux économiques, il y a une exigence éthique et philosophique qui mérite d'être pensée. José.Scandella (juin /2002)